jeudi, novembre 21, 2024
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Stocks de morue franche du golfe du Saint-Laurent : de nouvelles mesures de gestion se profilent à l’horizon

De nouvelles mesures de gestion se profilent pour protéger les stocks de morue franche du golfe du Saint-Laurent en situation critique. Dans leur avis scientifique pour appuyer le développement d’un plan de rétablissement de la population de la zone 4T autour des Îles-de-la-Madeleine, les scientifiques du ministère des Pêches et des Océans (MPO) recommandent notamment d’imposer des restrictions aux pêches dirigées des autres espèces de poissons de fond, comme celle du sébaste dont l’ouverture est prévue vers la mi-juin après un moratoire de près de 30 ans, là où les stocks se chevauchent. Ces recommandations furent présentées aux membres de l’industrie lors de la réunion annuelle du comité consultatif de gestion, tenue à la mi-mars à Moncton.

Le biologiste François Turcotte, de la direction régionale du MPO, pour la région du Golfe, explique que l’objectif est de limiter les prises accessoires de morue afin d’en ralentir le déclin continu malgré l’absence de pêche commerciale. «Pour la zone 4T [du sud du Golfe sous moratoire depuis 2009], on estime qu’avec 100 à 200 tonnes de prises accessoires autorisées, on ne décèlerait pas de diminution notable de biomasse dans les projections sur 10 ans, souligne-t-il. Mais avec des prélèvements annuels de 300 tonnes, on aurait une baisse de biomasse de 10 % en 2034. Donc, on a ciblé cette valeur-là comme seuil à ne pas atteindre.»

En fait, selon la dernière évaluation scientifique du MPO, la biomasse reproductrice du stock de morue de la portion sud du Golfe était de 11 800 t en 2023, contre 13 900 t en 2018. Cela représente une diminution de près de 15 % en cinq ans, principalement parce que les poissons se reproduisent désormais à l’âge 3 plutôt qu’à l’âge 7, comme c’était le cas par le passé. «Quand il y a une exploitation très intense de pêche ou de surpêche, ça favorise une reproduction hâtive des poissons avant qu’ils ne se fassent capturer, expose le biologiste en évaluation de stock, Daniel Ricard, également de la direction  régionale du MPO à Moncton. Et ça, c’est irréversible parce que c’est un phénomène pratiquement évolutif causé par la pêcherie. Et le prix à payer c’est que si un individu se reproduit plus tôt, il en sera affecté toute sa vie parce qu’il a mis de l’énergie sur la reproduction sexuelle au lieu de mettre de l’énergie sur la croissance.»

NORD DU GOLFE

Dans les zones 4RS3Pn de la portion nord du Golfe, où un troisième moratoire sur la pêche commerciale à la morue est imposé depuis 2022 après ceux de 1994 à 1996 et de 2003, le MPO a enregistré une baisse marquée de la biomasse reproductrice du stock l’an dernier. Selon le biologiste chargé de son suivi à l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), Jordan Ouellette-Plante, elle est passée sous les 43 000 t. Cela correspond à 60 % du point de référence limite entre la zone critique et la zone de prudence établies en vertu de l’approche de gestion par précaution. À ce propos, le biologiste de l’IML fait remarquer que le turbot et la crevette semblent aussi avoir connu des taux de mortalité naturelle importants en 2023.

«Ce qu’on a vu dans les contenus stomacaux des morues capturées lors des derniers relevés du mois d’août, c’est une tendance à la diminution dans l’intensité d’alimentation des poissons, dit-il. Et donc, le Golfe est un gros système qui a quand même une capacité de support limitée. Il est capable de fournir des ressources, une certaine quantité de vie, et là, avec les très fortes cohortes de sébaste dans le système, avec des millions d’individus qui ont besoin de millions de repas, on voit que ça affecte aussi la condition du turbot et de la crevette, entre autres. On voit même que les fortes cohortes de sébastes de 2011 à 2013 semblent avoir cessé de grandir. Alors tout ça pointe vers une diminution de la disponibilité des proies dans le système.»

M. Ouellette-Plante est d’avis que la baisse marquée de la biomasse reproductrice de la morue du nord du Golfe observée l’an dernier soit largement attribuable au fait que la cohorte de 2018 – la plus importante depuis le début des années 1990 – aurait cessé de grandir en plus de subir une mortalité naturelle accrue. Le biologiste ne voit pas, non plus, de nouveau recrutement significatif. «On avait beaucoup d’espoirs en la cohorte 2018 qui s’accroissait en taille et qui allait bientôt devenir mature, puis contribuer au stock reproducteur, mentionne-t-il. Mais en 2023, d’après le relevé du mois d’août, l’indice d’abondance de la morue qui était en augmentation depuis trois ans a diminué de plus de 60 % à des valeurs sous la moyenne de 40 dernières années. […] On est dans un environnement changeant, un système multi-espèce qui va mal, ajoute le biologiste de l’IML. C’est dur de se baser sur ce qu’on a vu par le passé pour l’appliquer à la situation actuelle parce qu’on nage dans l’inconnu.»

D’autre part, selon les données du MPO, les prises accessoires de morue provenant des activités de pêche commerciale au flétan atlantique dans le nord du Golfe s’élevaient à 56 tonnes l’an dernier, ce qui représente un volume similaire à celui des débarquements de la pêche sentinelle menée pour recueillir des données sur l’état du stock. Or parmi les grandes incertitudes concernant les facteurs qui affectent ce stock, il y a les prises associées à la pêche récréative à la morue, autorisée sur un maximum de 39 jours répartis de juin à octobre, qui ne font l’objet d’aucune  déclaration. Au cours de la période 2011-2020, le MPO estimait ces prises entre 150 et 900 tonnes par année, relève Jordan Ouellette-Plante. «Il est quand même probable que les captures provenant de la pêche récréative constituent une part non négligeable des débarquements totaux», insiste-t-il.

PLANS DE RÉTABLISSEMENT

Dans l’avis scientifique visant à appuyer le développement d’un plan de rétablissement du stock de morue de la zone 4T du sud du Golfe présenté à la mi-mars, il est donc principalement recommandé de   limiter le total annuel de prises accessoires de morue à 152 t, pour «au moins ne pas accélérer le déclin», indique François Turcotte. «On a regardé nos données de distribution des espèces pour lesquelles on sait que leurs pêcheries attrapent la morue, poursuit-il. On a le sébaste, justement, le flétan du Groenland, le flétan atlantique et la plie grise. Et on a regardé à quel point toutes ces espèces se chevauchent dans l’espace et dans le temps, pour établir des zones et des temps, dans le golfe du Saint-Laurent, où on pourrait réduire la quantité de morue qu’on capture dans chacune de ces pêches-là.»

Selon le biologiste de la direction régionale de Moncton, l’instauration de zones d’exclusion est une des façons «d’attaquer le problème». Ou encore l’utilisation de méthodes de pêche, à même les zones de chevauchement, capables de cibler les espèces qu’on veut attraper tout en s’éloignant de la morue. «Donc, soit en travaillant sur la sélectivité des engins ou en utilisant la technologie, telle que l’acoustique, pour identifier l’espèces qu’on veut attraper, fait valoir M. Turcotte. Les pêcheurs semblent déjà avoir une bonne capacité, avec leurs connaissances de la distribution du poisson dans chacun des environnements, à cibler l’espèce qu’ils désirent attraper.»

D’ailleurs, même s’il admet que les mesures de gestion des pêcheries à fort potentiel de prises accidentelles de morue vont se complexifier, le biologiste Jordan Ouellette-Plante note qu’il sera plutôt simple d’éviter en grande partie le cheptel de morue là où il y a forte présence de sébaste, en particulier. «Les sébastes se trouvent à d’importantes profondeurs, fait-il remarquer. Et une étude de ma collègue Caroline Senay publiée en 2021 a, entre autres, démontré que dans un contexte de pêche estivale au sébaste, une forte majorité des morues, soit plus de 90 %, avait déjà été rencontrée à des profondeurs moindres que 300 mètres, alors qu’à partir de 300 mètres, il reste encore la moitié des sébastes à des profondeurs plus élevées.»

Cela dit, bien que le plan de rétablissement de la morue de la portion nord du Golfe ne soit toujours pas complété, le biologiste de l’IML affirme qu’il faudra presser le pas pour ramener le stock à un seuil supérieur à son niveau de référence limite. Par exemple, le MPO recommandera de prévenir les effets de la prédation par les phoques gris, dont on craint une présence accrue dans les zones 4RS et 3Pn. «Aux sciences, on dit toujours qu’afin de favoriser le rétablissement de la biomasse   reproductrice du stock de morue, les prélèvements de toutes sources devraient être les plus faibles possibles. Et donc, pour que ce rétablissement soit un succès, c’est important d’y aller rapidement et ne pas attendre que le phoque gris utilise potentiellement davantage le nord du Golfe», soutient M. Ouellette-Plante sans préciser comment on devrait s’y prendre.

PLAN DE PÊCHE SÉBASTE

En ce qui concerne la réouverture de la pêche au sébaste anticipée pour les alentours du 15 juin, après la période de ponte de l’espèce, la ministre Diane Lebouthillier devrait en dévoiler le plan de gestion d’ici la fin mai. Elle attend toujours le rapport des discussions du comité consultatif tenues à Halifax, du 4 au 7 mars. Chose certaine, il serait surprenant qu’elle accorde un contingent supérieur aux 25 000 tonnes qu’elle a proposées le 26 janvier dernier, lors de l’annonce de la levée du moratoire en place depuis près de 30 ans. «De ce que j’ai entendu de la réunion du comité, de ce que l’industrie voulait, c’est de ne pas pêcher ce qu’on ne peut pas transformer», nous a-t-elle déclaré en entrevue, en marge des activités entourant le lancement de la saison de pêche au homard des Îles-de-la-Madeleine.

LES POISSONS DE FOND – pages 20-21 – Volume 37,2 Avril-Mai 2024

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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