La hausse de la température de l’eau était notable aux Îles-de-la-Madeleine en fin d’été, dans la baie de Plaisance, selon les observations de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML).
Le biologiste Benoît Bruneau rapporte qu’elle variait entre 20 et 22 degrés, dans la pouponnière de homard des Demoiselles, à trois mètres et moins de profondeur, où il plongeait dans le cadre de ses travaux annuels de suivi postsaison. Il affirme que c’est cinq à sept degrés de plus que ce que préfèrent les petits homards au stade postlarvaire. «Je ne sais pas si c’est une tendance qui va continuer, mais on voit que la température préférée des larves de homard, habituellement ça avoisine davantage autour de 15-16 degrés, selon certaines études.»
Son confrère de chez Merinov, Jean-François Laplante, qui collabore au suivi du succès reproducteur du stock de homard de la zone 22 dans le cadre d’une entente de service conclue avec l’IML il y a cinq ans, ne croit toutefois pas que ce réchauffement entraînera pour autant une baisse du taux de survie des petits crustacés. Il prévoit que la population s’adaptera en se déplaçant vers d’autres pouponnières en eaux plus profondes. «Par exemple, dans la baie de Plaisance, on a commencé à suivre la Pierre de l’Église, qui est une autre pouponnière à homard un peu plus creuse qui a de très bons résultats aussi, explique monsieur Laplante. Donc, ça fait cinq ans qu’on la suit; c’est une deuxième pouponnière qu’on suit. C’est comme ça qu’on identifie de nouveaux sites et qu’on voit les fluctuations au travers des années.»
L’atteinte de la taille adulte des homards varie de cinq à sept ans en fonction de la température de l’eau. Benoît Bruneau précise que l’espèce est en état de stress physiologique lorsque la température dépasse les 26 degrés Celsius.
SUIVI DU RECRUTEMENT
Cela dit, les relevés en plongée dans la pouponnière des Demoiselles visent à faire le suivi du recrutement du stock pour la pêche commerciale des sept à huit années à venir. L’échantillonnage, après la déposition larvaire, permet de suivre le succès reproducteur de la population. Et les travaux complémentaires que dirige Merinov devraient éventuellement mener à une diversification des sites d’échantillonnage, poursuit Benoît Bruneau. «Je ne peux pas vraiment dire où est-ce qu’on en est rendu parce que c’est un peu compliqué, comparer ce que j’ai vu au fond, sans que j’aie mis ça dans un chiffrier pour pouvoir bien analyser les données.»
De plus, l’échantillonnage des crustacés au chalut, à bord du Leim, le navire de recherche de l’IML, permet notamment d’anticiper les rendements de la prochaine saison. Le biologiste mesure la taille des crustacés, en identifie le sexe, vérifie la condition de la carapace de même que l’abondance des femelles œuvées. «Cet automne, je vais survoler un peu les données pour voir s’il y a quelque chose d’inquiétant, mais les données vont être compilées et gardées jusqu’à la prochaine évaluation complète de 2019. Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que ça ressemble un peu à l’année dernière», commente monsieur Bruneau.
RELEVÉS AU NORD?
D’autre part, Pêches et Océans (MPO) étudie la possibilité d’un nouveau programme d’échantillonnage du homard de l’archipel, pour étendre au nord du territoire son suivi scientifique annuel qu’il concentre traditionnellement au sud. Or, pour répondre à cette demande spécifique des pêcheurs madelinots, Benoît Bruneau explique qu’il aura besoin de leur collaboration. Le problème, c’est que les ports du côté nord de l’archipel ne sont pas assez profonds pour accueillir le Leim. «Et puis, pour faire le tour de l’île, ce n’est pas possible; l’équipage ne permet pas de pouvoir dormir à l’ancre de l’autre côté. Alors, ça prend beaucoup trop de temps y aller.»
Ainsi, faute de pouvoir utiliser le chalut scientifique pour l’échantillonnage du homard du côté nord, ce sont des pêcheurs qui iraient faire les relevés avec des cages dépourvues de lattes d’échappement. «J’essaie de regarder si on pourrait adopter certaines pratiques qui sont faites en Gaspésie, qui eux aussi ont un suivi postsaison, mais on ne peut pas y aller avec le Leim à cause de la nature des fonds», souligne le biologiste.
Benoît Bruneau prévoit pour 2018 la mise en œuvre d’un éventuel programme d’échantillonnage pour le suivi du stock de homard du nord des Îles. Il n’exclut cependant pas des essais exploratoires dès l’an prochain.
MATURITÉ SEXUELLE
Enfin, notons que monsieur Bruneau a également profité de son suivi postsaison pour amorcer des travaux de recherche sur la maturité sexuelle des femelles. Il croit que la courbe de cette maturité sexuelle pourrait être modifiée par le réchauffement climatique. Le cas échéant, la mise à jour de cette courbe qui permet d’estimer la production d’œufs est essentielle aux évaluations de stock. «Ça se peut, comme ça ne se peut pas, dit-il. Je n’ai pas la réponse. Donc la meilleure façon d’y répondre, c’est de le faire. On a commencé à en faire un peu sur le Leim, pendant la mission.»
Dans le cadre de ces travaux préliminaires, le biologiste de l’IML explique qu’il s’emploie à tester de nouvelles techniques de prise de données qui pourraient être appliquées aux régions de la Côte-Nord, d’Anticosti et de la Gaspésie. «Je ne peux pas avoir une personne spécialisée qui va aller dans chaque région. On essaie avec des appareils photo à haute résolution, en macro très forte pour voir les glandes à cément. C’est ce qu’on peut trouver dans les pléopodes, et c’est ça qui nous dit si la femelle est sexuellement mature ou pas.»
Un homard femelle adulte peut pondre jusqu’à 100 000 œufs, selon sa taille. En général, les œufs éclosent deux années après l’accouplement.
BIOLOGIE – page 29 – Volume 29,6 – Décembre 2016 – Janvier 2017