La morue du Nord au large de Terre-Neuve et Labrador connaît un rebond spectaculaire, selon une étude publiée en octobre, dans le Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences. Ses auteurs, dont le chercheur Georges Rose de l’Université Memorial, démontrent que la biomasse du stock des zones 2J3KL, qui a connu une extinction commerciale au début des années 1990, a progressé de quelques dizaines de milliers de tonnes à près de 200 000 tonnes métriques, au cours des 20 dernières années.
«C’est une nouvelle qui me fait sourire», commente Réginald Cotton, porte-parole de la Fédération des pêcheurs semi-hauturiers du Québec (FPSHQ) en matière de poisson de fond et capitaine du Meridian 66. Il raconte que, lors d’un échange avec le réputé scientifique il y a 30 ans, dans le cadre d’un documentaire sur l’effondrement du stock, monsieur Rose lui disait que jamais plus on ne reverrait de morues sur les côtes terre-neuviennes. Le pêcheur gaspésien soutient que, à l’époque, il n’en croyait pas un mot. «Moi, j’avais dit à l’époque, dans le film : «Je pense qu’avec le petit peu d’expérience que j’ai, ça ne prendra pas bien des années. La nature étant ce qu’elle est, toute la morue va augmenter, ça va revenir un peu comme c’était avant et même si c’est moins, on va pouvoir s’en sortir».» Il m’avait dit : «Jamais, jamais, Réginald, qu’on va revoir les stocks de morue dans l’Atlantique et dans golfe du Saint-Laurent comme c’était avant. Jamais, jamais, jamais!».»
MIROIR DU GOLFE
De plus, monsieur Cotton est convaincu que le retour de la morue sur la côte atlantique est le reflet de ce qui se passe actuellement dans le golfe du Saint-Laurent, même si les évaluations scientifiques du ministère fédéral des Pêches et des Océans soutiennent le contraire. Le problème, selon le porte-parole de la FPSHQ, c’est que le MPO n’a pas ajusté son modèle d’échantillonnage en fonction des changements climatiques. «Dans le sud du golfe, s’ils ne trouvent pas de morue, ce n’est pas étonnant, dit-il. On sait pourquoi. Ça fait des années qu’on leur dit. Le pattern de migration a changé, il y a eu des changements climatiques. Mais ces gens-là ne tiennent pas compte de ces paramètres.»
INÉGALITÉ DES STOCKS
Cependant, l’état des différents stocks de morue est toutefois très inégal d’un secteur à l’autre de la côte atlantique. Par exemple, au sud de Terre-Neuve où la population se rétablit, la situation est nettement moins reluisante au large de la Nouvelle-Écosse et de la Nouvelle-Angleterre. Selon le rapport 2014 d’évaluation du stock frontalier, rendu public en novembre par le Northeast Fisheries Science Centre de Woods Hole, au Massachussetts, la biomasse de morue et de poissons plats est passée de 140 à 40 tonnes métriques depuis 1994.
En revanche, au cours des vingt dernières années, la biomasse combinée d’aiglefin, de sébaste, de merluche blanche et de colin a plus que quadruplé au Banc Georges et dans le Golfe du Maine. Elle est passée de moins de 200 tonnes métriques en 1994 à près de 900 tonnes métriques en 2014.
Le quota canadien d’aiglefin a d’ailleurs été rehaussé de 250%, l’an dernier, au plateau néo-écossais, pour s’établir à près de 16 500 tonnes métriques. En comparaison, le quota de morue a été coupé de moitié plus tôt cette année. Le ministère des Pêches et des Océans n’y a autorisé des captures que de 1 600 tonnes, étalées sur deux ans. Quant au stock de morue de la zone 4T du sud du golfe, on en attend pour bientôt le plus récent rapport ministériel d’évaluation.
ÉTUDE SUR LE CHALUTAGE
D’autre part, une nouvelle étude sur le chalutage produite par l’Université Glasgow, en Écosse, constate qu’il n’est pas rentable en eaux profondes. Publiée en septembre, elle établit qu’à plus de 600 mètres, les prises accidentelles augmentent rapidement, en proportion avec la baisse des gains commerciaux par unité d’effort.
Réginald Cotton n’en est pas surpris. Il dit en avoir fait l’expérience dans le cadre d’un projet de pêche au turbot sur les côtes du Labrador, il y a une vingtaine d’années. «On est allé pêcher le turbot dans des profondeurs qui étaient entre 1 000 et 2 000 brasses; une brasse, c’est six pieds (deux mètres). On ciblait le turbot, mais il y avait bien plus d’autres espèces que le turbot présentes dans ces eaux-là. Il y a une panoplie d’espèces qu’on ne connaissait pas, une panoplie d’espèces sur lesquelles on n’avait aucun contrôle, qu’on n’avait jamais vues de notre vie et qui étaient là.»
L’étude écossaise prouve également que le chalutage en eaux profondes affecte la biodiversité, puisqu’elle touche des espèces ayant un faible taux de reproduction et de croissance. À ce propos, le capitaine Cotton plaide pour un meilleur suivi des prises accidentelles dans le golfe du Saint-Laurent, même si on n’y pêche pas à plus de 400 mètres. «La couverture d’observateurs au niveau de la pêche à la crevette est de 5%, fait-il remarquer. Et moi, j’ai lu, il n’y a pas tellement longtemps, qu’il y a 2% de prises accessoires de petits sébastes avec 5% de couverture. Alors, si on extrapole, vous savez, ce n’est pas du développement durable, ce n’est pas de la pêche durable.»
Ailleurs dans le monde, le chalutage est interdit dans le tiers des eaux côtières de la Nouvelle-Zélande et dans certaines zones contrôlées des États-Unis. En France, depuis janvier, les pêcheurs doivent livrer à quai la totalité de leurs prises accidentelles, souligne Réginald Cotton.
LES POISSONS DE FOND – page 12 – Volume 28,6 – Décembre 2015 – Janvier 2016