Les pêcheurs de crabe et de homard auront une année de répit avant l’entrée en vigueur, initialement prévue pour 2023, de l’obligation de doter leurs cordages d’un système de maillon faible pour réduire les risques de mortalité ou de blessures graves chez les baleines noires empêtrées. C’est ce que retiennent Charles Poirier, président du Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI) et Robert Haché, directeur général de l’Association des crabiers acadiens (ACA), de la plus récente réunion du Comité consultatif sur la baleine noire de l’Atlantique Nord qui s’est tenue à Moncton le mardi 22 novembre. La ministre Joyce Murray a d’ailleurs confirmé le report de la mesure à 2024, dans un avis aux pêcheurs le 1er décembre.
«Le maillon faible à 1 700 livres, c’est ce qui a été essayé partout et le monde trouve que c’est ce qui se rapproche le plus de ce qu’on pêche à date, rapporte le président du RPPCI. Mais dans tous les rapports, ce n’est efficace pour [protéger] les baleines qu’à 5 %. Ça fait que ce n’est pas encore assez concluant pour aller de l’avant avec ça.»
Pour sa part, M. Haché précise que les tests sur des cordages qui se brisent sous une tension de 1 700 livres, tel qu’exigé par les autorités canadiennes et américaines pour protéger les mammifères menacés d’extinction, sont réalisés sur des câbles commandés en Inde par une entreprise de Shippagan. Or, tandis qu’une troisième version a été mise à l’épreuve l’été dernier, sous la supervision de la firme d’ingénierie néo-brunswickoise CORBO, il faudra encore au moins deux à trois autres années de recherche et développement avant de conclure quoi que ce soit, souligne-t-il.
«Et on ne sait même pas si en bout de piste on va arriver à quelque chose qui va fonctionner, avance le DG de l’ACA. Pour l’instant, les indications sont que les maillons faibles et les câbles ne sont applicables, ni à la pêche au homard ni à la pêche au crabe, au Canada, parce que les cordes cassent et on perd les casiers et ça créée plus un problème [d’engins fantômes] qu’une solution.»
LE RPPSG VA DE L’AVANT
Malgré tout, le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG) vient d’investir 12 000 $ dans l’achat de trois types de mécanismes de rupture des cordages lorsque soumis à une tension de 1 700 livres. Il en fera une distribution gratuite à ses 150 pêcheurs de homard, de sorte à ce que 50 % de leurs lignées de cages en soient dotées dès la prochaine saison 2023.
Le directeur de l’organisation, O’Neil Cloutier, prévoit une application à 100 % au sein de sa flottille en 2024, année de l’entrée en vigueur des restrictions américaines sur l’importation des produits marins en vertu du Marine Mammal Protection Act (MMPA). Les États-Unis vont alors limiter leurs importations aux produits issus de pêcheries, dont les mesures de gestion pour protéger les baleines noires sont comparables aux leurs. «On n’a pas le choix d’agir, soutient le DG du RPPSG. Le renforcement du Marine Mammal Protection Act pour protéger les baleines s’applique déjà aux États-Unis, depuis le premier janvier 2022.»
Cela dit, M. Cloutier affirme que son organisation est encore plus proactive que ne le sont les Américains. Il en veut pour preuve le fait que les pêcheurs de homard du Maine viennent de se faire retirer la certification de pêche durable émise par le Marine Stewardship Council (MSC), dans la foulée d’un jugement récent de la Cour fédérale. «Un juge de la Cour fédérale des États-Unis reproche à la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) de ne pas respecter l’esprit de sa propre loi, relève le DG du RPPSG. Alors, moi, ce que je dis à mes gars, c’est qu’il ne faut pas arrêter d’avancer parce que sinon on va se faire piéger.»
FACILITER LA COEXISTENCE
D’autre part, afin de faciliter la coexistence entre la pêche au crabe des neiges de la zone 12 du sud du Golfe et les baleines, l’ACA demande au MPO de rehausser de 25, soit de 150 à 175 par bateau, le nombre de casiers autorisés pour les cinq premières semaines de la saison. Son directeur général a fait valoir au Comité consultatif que ça permettrait aux crabiers traditionnels de la flotte semi-hauturière de maximiser leurs captures avant l’arrivée des mammifères, dont on estime que 50 % de la population de 340 individus viennent se nourrir dans le golfe du Saint-Laurent.
L’ACA a présenté les grandes lignes d’une étude menée par un biologiste du MPO à la retraite, Marcel Hébert, spécialiste du crabe des neiges, sur la base des livres de bord de 38 de ses membres compilés après chacun de leurs débarquements du printemps dernier. Elle démontre que les prises par unité d’effort des pêcheurs sont non seulement plus fortes en début de saison, elles correspondent aussi à une période où les risques d’interactions des baleines avec les cordages des casiers sont quasi inexistants. «C’est la première fois qu’on obtient des données réelles sur la productivité de la pêcherie en lien avec la distribution des câbles dans l’eau par rapport à la distribution des baleines, et par rapport à la superficie des zones de fermeture et de la durée des fermetures», expose Robert Haché.
D’ailleurs, l’ACA est présentement en demande de financement afin d’étendre cette étude à l’ensemble des plus de 300 pêcheurs de crabe de la zone 12, aux fins de publication scientifique révisée par les pairs. Elle vise à compiler de manière confidentielle les données de journaux de bord couvrant la période 2018-2022, soit depuis l’adoption des nouvelles mesures de gestion pour protéger les mammifères. «Les travaux incluront des modélisations des stratégies de fermeture du MPO, ainsi que des analyses de risque sur les interactions possibles entre les baleines noires et la pêcherie», explique M. Haché. Ils seraient menés par Marcel Hébert, la chercheure scientifique Lyne Morissette, spécialisée en écologie marine, et d’autres experts à déterminer. Ils devraient s’échelonner sur une période de 12 à 18 mois.
CONSULTATION – page 3 – Volume 35,5 – Décembre 2022 – Janvier 2023