Pour la toute première fois cette année, et malgré la pandémie de la COVID-19, du homard vivant du Québec a été exporté en Chine. Il s’agit plus précisément de homard pêché sur la Basse-Côte-Nord et expédié par l’homme d’affaires Michael Sheppard, propriétaire de la poissonnerie Pêcheries Petit Havre de Blanc-Sablon.
Le jeune homme de 28 ans, qui a étudié en logistique de transport au Cégep Garneau de Québec, qualifie cet exploit de «phase de test concluante». «Traditionnellement, le homard de la Basse-Côte-Nord est mis en conserve ou congelé pour le marché local, explique M. Sheppard. Je voulais voir comment on pouvait pousser l’achat et la vente du produit vivant, en faisant d’abord des essais de commercialisation sur le marché du Maine, puis avec la Chine.»
PARTENARIATS ESSENTIELS
Pour ce faire, Michael Sheppard explique qu’il s’est associé avec le mytiliculteur Serge Dumas, de la Ferme Belles-Amours, qui détient un permis de commercialisation du homard émis par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Dans le cadre de ce partenariat conclu ce printemps, M. Sheppard a construit un vivier temporaire en fibre de verre d’une capacité de 13 000 livres au coût d’une dizaine de milliers de dollars. «M. Dumas a décidé de prendre sa retraite et, pour lui, 2020 était une année de transition; il voulait opérer une dernière année avant de me vendre son entreprise, indique l’entrepreneur. Nous devrions en conclure le transfert d’ici peu.»
M. Sheppard a aussi développé une relation d’affaires avec une entreprise néo-écossaise spécialisée dans l’exportation du homard vivant, Craig’s Lobster de Shag Harbour, détentrice d’une certification de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. «J’ai fait la connaissance de son dirigeant, Craig Crowell, à l’époque où je travaillais au service des achats et des ventes au bureau de Pec-Nord à Québec, pendant mes études, raconte Michael Sheppard. Depuis, nous sommes toujours restés en contact et je dois dire que sans lui, mon projet n’aurait pas pu voir le jour. On se serait planté plus d’une fois sans son expertise d’une trentaine d’années!»
À sa poissonnerie de Blanc-Sablon, qu’il exploite depuis 2016, M. Sheppard comptait jusqu’alors sur les approvisionnements de seulement deux ou trois pêcheurs de homard. Pour son projet d’exportation internationale, il a su en rallier un total de 18, sur les 66 détenteurs de permis de la zone 15, «la plus septentrionale des zones de pêche au homard de l’Amérique du Nord», souligne-t-il fièrement.
LONG PÉRIPLE
L’acheteur ne reçoit les débarquements de ses pêcheurs qu’une fois par semaine, parce que c’est la fréquence à laquelle le BELLA DESGAGNÉS, le bateau ravitailleur de la compagnie maritime Relais Nordik, dessert les villages de cette région dé-pourvue de réseau routier. Ses approvisionnements lui arrivent principalement de St-Augustin, La Tabatière, Gros-Mecatina et Baie-des-Moutons, à plus de 100 kilomètres à vol d’oiseau de Blanc-Sablon. «Quand on reçoit le homard, on le garde en vivier pendant environ 24 heures pour le faire dégorger, puis on le pèse et on le trie selon la qualité et le poids, précise M. Sheppard. Ensuite, on le garde encore de 24 à 36 heures en vivier pour en baisser le niveau de stress et ainsi le préparer pour le voyage vers la Nouvelle-Écosse. Notre premier obstacle logistique, c’est la traversée du détroit de Belle-Isle vers St-Barbe, à Terre-Neuve.»
Après cette traverse de deux heures, la cargaison de crustacés vivants de la Ferme Belles-Amours fait 575 km de route jusqu’à Port-aux-Basques, où elle s’embarque pour une deuxième traversée, d’une douzaine d’heures incluant l’attente, vers North Sydney, en Nouvelle-Écosse. «Dû à la pandémie, c’est premier arrivé, premier servi; il n’y a pas de système de réservation pour les véhicules commerciaux, relate M. Sheppard. Heureusement, on a eu zéro perte; mais moi, j’ai commencé à avoir des cheveux gris!»
S’ensuivent 640 km de route pour se rendre jusqu’à Shag Harbour, près de Barrington, au sud de Yarmouth. Arrivé à destination chez Craig’s Lobster, une trentaine d’heures après son départ de la Basse-Côte-Nord, le homard est mis en vivier pendant environ trois jours à une température variant entre 3 ˚C et 4 ˚C, afin de le conditionner pour son vol transcontinental. «À l’usine de mon partenaire, le homard est enveloppé dans du papier absorbant trempé à l’eau de mer pour le garder humide, puis emballé dans des caissons de styromousse de 30 livres dans lesquels on met des ‘gel pack’. Il prend ensuite le chemin de l’aéroport international d’Halifax, d’où il part sur un vol cargo de Korean Air.»
La précieuse cargaison de homard vivant du Québec fait escale à Anchorage, en Alaska, pour un plein d’essence, puis atterrit à Séoul, en Corée du Sud, d’où elle repart à bord de petits avions vers les différents marchés de la Chine continentale. Au cours de la saison de pêche 2020, la Ferme Belles-Amours a fait trois expéditions à Shanghai et Guangzhou, ce qui représente 30 % de son volume d’affaires. «Nous avons enregistré un taux de survie moyen de 96 %, se réjouit Michael Sheppard. En vertu des ententes avec mes acheteurs, on a droit à 5 % de mortalité sans être pénalisé. Et sur la route des États-Unis, notre taux de survie est de 98,5 %. Alors, pour une première année, malgré la pandémie mondiale, je suis très satisfait!»
PÊCHE PRINCIPALE
Le Nord-Côtier se félicite également de la hausse du prix payé à quai qu’engendrent ses activités d’exportation; un prix compétitif avec celui payé en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, affirme-t-il. «Le prix a augmenté en moyenne de 0,50 $ à 1,25 $ la livre, selon la période de débarquement. On a commencé à 4,15 $, la troisième semaine de mai, et on a fini à 6 $ la première semaine du mois d’août.»
Michael Sheppard fait aussi remarquer que le réchauffement de l’eau sous l’effet des changements climatiques favorise l’abondance du stock de homard de la zone 15. Lui qui a fait ses premières armes dans la pêche à titre d’aide-pêcheur en 2016 et 2017, rapporte que les captures moyennes du secteur ont doublé depuis cinq ans. «Depuis trois, quatre ans, de plus en plus de pêcheurs se concentrent sur le homard, qui n’était qu’une pêche complémentaire, pour en faire une pêche principale, dit-il. Les volumes sont de plus en plus intéressants. Les pêcheurs prennent de 7 000 à 15 000 livres à bord de cha-loupes, comparé entre 3 000 et 8 000 livres il y a cinq ans. C’est pour ça que c’est rendu intéressant pour les acheteurs.»
Outre La Ferme Belles-Amours de Blanc-Sablon, la Basse-Côte-Nord compte deux autres acheteurs de homard : I & S Seafoods de Rivière-Saint-Paul et Lower North Shore Community Seafood COOP de Harrington. L’entreprise Poséidon de Longue-Pointe-de-Mingan est un quatrième joueur, indique M. Sheppard. «Il y a de la place pour tous; chacun a ses villages d’approvisionnement. Mais les autres transformateurs se concentrent sur le congelé, parce qu’ils considèrent que les volumes ne sont pas intéressants pour faire l’exportation du homard vivant.»
Pour 2021, le jeune entrepreneur veut augmenter à 25 son nombre de pêcheurs. Il prévoit également construire un vivier d’une capacité de 30 000 livres, dès qu’il sera officiellement propriétaire de la Ferme Belles-Amours. «Ce sera un vivier réfrigéré qui gardera la température de l’eau à 2˚ C. Et, en surplus des 30 000 livres de homard qu’il contiendra en bassins superposés, on va aussi faire des tests d’entreposage de longue durée, d’environ trois mois, dans des tubes placés en-dessous.»
Entretemps, Michael Sheppard continue de desservir sa clientèle chinoise à titre de courtier, en leur vendant du homard des zones 33, 34 et 35 de la Nouvelle-Écosse. «La Chine est rendue le plus grand marché pour le homard du Canada, fait-il valoir. C’est vraiment incroyable!» Au cours de la saison prochaine, le jeune entrepreneur vise d’ailleurs à rehausser à 30 % ou 40 % son volume d’affaires chinois et même tenter une percée au Vietnam, tout en réduisant à 50 % la proportion de ses ventes aux États-Unis.
EXPORTATION – pages 4-5 – Volume 33,5 Décembre 2020-Janvier 2021