Il sera important d’éduquer les consommateurs, en leur proposant des recettes par exemple, pour tirer profit des nouvelles opportunités d’affaires qu’offrira la reprise de la pêche commerciale au sébaste. C’est ce que soutient Sylvain Charlebois, directeur scientifique de l’Institut canadien en prospective agroalimentaire, situé à Halifax.
Questionné dans le cadre du Rendez-vous annuel 2023 de l’industrie de la pêche et de la mariculture des Îles-de-la-Madeleine, où il était conférencier invité en décembre dernier, le chercheur s’est félicité de ce qu’il s’agit d’un «produit flexible» en matière de commercialisation.
«C’est une excellente nouvelle en soi, parce que les prix sont là et il y a de l’argent à faire, a-t-il fait valoir. Mais est-ce que la demande sera au rendez-vous? Pour le Québécois qui est à la recherche de nouveaux produits, je pense que le sébaste est effectivement un très bon produit. Ça va passer par une éducation auprès de la génération Z [en particulier], pour lui donner des idées sur le genre de repas, le genre de mets qu’on peut servir avec ça.»
Ainsi M. Charlebois, qui est aussi professeur titulaire à la Faculté de management en agriculture de l’Université Dalhousie, souligne qu’après un moratoire de près de 30 ans, il faudra «faire le pont entre l’offre et la demande» pour qu’on puisse voir le potentiel du sébaste émerger. «Parce que c’est la réintroduction d’un produit, finalement, qui n’existe pas depuis longtemps. Trente ans, dans le monde alimentaire, c’est long!»
Et si Sylvain Charlebois cible la génération Z des personnes nées entre 1997 et 2010, c’est parce qu’elle est très influencée par les réseaux sociaux, «un monde» dont sont absents les poissons et fruits de mer, relève-t-il. «Il va falloir penser à aller chercher les milléniaux [nés entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990] et la génération Z, parce que ce sont ces deux générations-là qui vont vous permettre d’augmenter votre part de marché pour l’avenir, dit-il. Et comme elles puisent beaucoup d’information sur les réseaux sociaux comme TikTok et YouTube, il faudra leur donner des idées culinaires [sur ces plateformes] et les instruire sur comment apprêter ces produits-là parce que sans instructions, c’est beaucoup plus difficile.»
RECALIBRAGE
Le professeur Charlebois signale également que ce sont les milléniaux qui ont été les plus durement affectés par le contexte inflationniste marqué par la hausse des taux hypothécaires en 2023. Aussi a-t-il constaté un recalibrage du budget alimentaire chez les ménages canadiens moyens pour payer leur logement. De ce fait, ils ont délaissé les produits de luxe tels que les poissons et fruits de mer. «Depuis 2023, les milléniaux sont partis d’un mode de sauver la planète – d’acheter avec des valeurs – à vivre et survivre, fait-il remarquer. Et en termes de nombres, les milléniaux, c’est la génération la plus importante au Canada présentement. Ils dépassent le nombre de boomers qui vieillissent, mangent moins, ont moins d’argent.»
Pour 2024-2025, cependant, le chercheur prévoit une «normalisation» des taux d’intérêt et des paiements hypothécaires, de même que l’adoption de nouvelles habitudes de consommation. Il croit que les gens seront davantage portés à se «payer la traite» à la maison plutôt que dans les restaurants. «On va voir beaucoup de fermetures de restaurants au cours des prochains mois, prévient Sylvain Charlebois. Selon Restaurants Canada, 51 % des restaurants indépendants perdent de l’argent, actuellement. Et d’après moi, on va vivre un peu ce qu’on a vécu pendant la COVID. Les gens ne pouvaient pas sortir et qu’est-ce qu’ils mangent au restaurant? Ce sont des fruits de mer et des poissons, qu’ils ont décidé de manger à la maison. Alors, on pense que ça pourrait être avantageux [pour l’industrie], surtout que les gens travaillent beaucoup plus à la maison désormais.»
Enfin, une autre nouvelle d’importance pour l’avenir de l’industrie de la pêche et de la mariculture, selon M. Charlebois, vient du fait que 87 % des consommateurs canadiens mangent régulièrement des poissons et des fruits de mer parce qu’ils y trouvent une source nutritionnelle dite de haut niveau. C’est ce que révèle une récente étude sur l’Économie Bleue réalisée par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, dont il est cochef de la recherche.
Le professeur-chercheur note aussi une croissance significative du nombre d’adeptes de la diète pescétarienne qui exclut la viande, mais inclut les œufs et les produits marins comme sources de protéine. «Il y a environ 4 % des Canadiens qui se considèrent pescétarien et le nombre augmente d’à peu près 10 % par année, précise-t-il. On voit que c’est quand même assez important comparativement à d’autres diètes.»
Selon cette même étude, c’est la Colombie-Britannique qui enregistre le plus haut taux de consommation hebdomadaire de poissons et fruits de mer, avec un score de 45,8 %. En revanche, le Québec affiche le plus faible taux, avec seulement 27,2 %.
COMMERCIALISATION – page 29 – Volume 37,1 Février-Mars 2024
