Après presque trois mois de pourparlers sans issue, l’Office des pêcheurs de crevette du Québec (OPCQ), et l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) qui représente les trois transformateurs concernés, sont finalement parvenus à une entente le 8 juin à propos des prix payés au débarquement pour l’ensemble de la présente saison de pêche. Toutefois, si l’on en croit les porte-parole, la rentabilité ne sera au rendez-vous pour aucune des parties.
Afin de sauver la saison, les transformateurs ont accepté de payer 1,60 $ la livre pour la grosse crevette, 1,38 $ pour celle de taille moyenne et 1,22 $ pour celle de petite taille. Cela équivaut à un prix moyen de 1,40 $ la livre.
Dans une décision rendue le 6 juin à la suite d’une demande d’arbitrage accélérée, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec avait donné raison aux usines qui proposaient de payer 1,45 $ la livre pour la grosse crevette, 1,15 $ pour la moyenne et 0,96 $ pour la petite.
Mécontents de cette décision, les crevettiers avaient manifesté leur intention de demeurer à quai pendant toute la saison en raison d’une rentabilité incertaine, considérant les prix offerts. À peine 24 heures plus tard, l’AQIP a déposé une nouvelle proposition de prix aux crevettiers pour chacune des catégories du petit crustacé. Une contre-proposition s’en est alors suivie de la part de l’OPCQ auprès des industriels pour dénouer l’impasse des négociations entre les deux parties.
DU CÔTÉ DE L’AQIP
Jusqu’à ce que survienne l’entente avec les pêcheurs, il n’y a eu aucune conséquence désastreuse pour les usines, de l’avis du directeur général de l’AQIP. «Personne n’était pressé de partir et d’acheter le 1er avril, soutient Jean-Paul Gagné. Dans les négociations, ça ne dérangeait personne.»
Même si la Régie leur avait pourtant donné raison, les usines ont consenti à augmenter les prix payés au débarquement pour sauver la saison et pour éviter de continuer à perdre de bons employés. «Les transformateurs se sont sentis obligés pour ne pas perdre leurs clients et leurs employés, confirme le dirigeant de l’AQIP. On a fait nos efforts de guerre. L’an passé, ça n’a pas fait notre affaire, mais on a acheté quand même. Cette année, les pêcheurs ne voulaient pas aller à la pêche! C’est pour ça qu’on donne ces prix-là. Ce n’est pas du tout par gaieté de cœur!» Jean-Paul Gagné fournit l’exemple de Terre-Neuve. «Le panel a décidé que le prix aux pêcheurs est de 90 cents la livre en moyenne. On n’est pas là!»
Si, sans entente, l’impact sur les clients des usines risquait d’être néfaste, M. Gagné se désole avant tout du fait qu’un règlement entre les parties n’ait pas été possible. «C’est dommage. Quand on peut se parler, ça peut aboutir! Mais, ce qu’ils demandaient au départ était trop. J’ai hâte de voir comment ça va finir en fin d’année. Ça va être dur pour la transformation en général.»
Jean-Paul Gagné serait surpris que les usines atteignent un minimum de rentabilité avec les prix payés à quai cette année. «C’est pratiquement impossible, à moins qu’il y ait un miracle!»
Pour le porte-parole de l’AQIP, un enjeu demeure : les coûts d’opération sont très élevés pour les usines, d’autant plus qu’elles ne peuvent pas obtenir d’aide financière pour compenser les pertes de profit. «Il y a un programme du MAPAQ (ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) pour les pêcheurs. On leur a suggéré, et on était prêt à les appuyer dans ce programme. Mais ils n’en voulaient pas! Il y a plusieurs années, dans le temps du ministre Laurent Lessard, les pêcheurs avaient obtenu de l’aide pendant deux ans, en étant exemptés de payer de l’intérêt sur leurs prêts. Même ceux qui avaient plus de difficulté avaient été exemptés de payer leur capital. Pour nous, il n’y a pas de programme.»
Selon M. Gagné, les conditions de marché ne se sont pas améliorées. «En Europe, on ne peut pas dire que ça débloque. Le marché n’est pas là, surtout depuis la pandémie. En Europe, les ventes sont vraiment désastreuses et les prix ne sont pas là.»
Pour tenter d’améliorer la situation, l’AQIP et les industriels du Québec travaillent en collaboration avec le Nouveau-Brunswick sur le Fonds canadien d’initiatives en matière de poissons et fruits de mer. «On n’a pas le choix de trouver des solutions, si on veut sauver cette espèce sur les marchés et redorer son blason», soulève Jean-Paul Gagné.
Pour l’instant, les transformateurs n’entendent pas développer d’autres marchés que ceux du Royaume-Uni, de certains pays scandinaves, des États-Unis et du Canada. Par ailleurs, M. Gagné rappelle que la crevette nordique a de la concurrence sur les marchés, même au Québec. «Il y a la crevette d’élevage et la grosse crevette sauvage d’Argentine. On ne peut pas dire qu’elle est mauvaise. Loin de là!»
L’AQIP mène actuellement une campagne de promotion à TVA. «On l’avait mise en marche l’été passé, précise le directeur. Mais, cette année, les gens l’ont remarquée davantage. La promotion est appréciée et les commentaires sont bons. J’ai hâte de voir les effets pour ceux qui vendent sur le marché québécois.»
DU CÔTÉ DES CREVETTIERS
S’ils espèrent sauver leur saison, les crevettiers souhaitent au moins atteindre un minimum de rentabilité considérant les dépenses d’exploitation élevées et une baisse de quota pour certaines zones de pêche. «Présentement, on est tributaire de deux choses : les taux de captures et le prix du diesel, soutient le directeur général de l’OPCQ. En ce moment, le prix du diesel est encore très élevé, mais un peu moins catastrophique qu’il y a quelques semaines.»
Sur le plan des taux de captures, la situation varie en fonction des zones de pêche. «Ça va très bien dans l’Estuaire et c’est correct dans Sept-Îles, décrit Patrice Element. Dans Anticosti, c’est moyen, mais la crevette est belle. Si ça ne s’améliore pas dans Anticosti, je pense qu’il y a des gars qui vont avoir une décision à prendre. Mais, il est un peu trop tôt.» Afin d’atténuer des pertes financières, les crevettiers tentent de cibler autant que possible les zones où se trouve la grosse crevette, indique le porte-parole de l’Office.
Quoi qu’il en soit, la rentabilité des opérations demeure un enjeu. Selon Patrice Element, plusieurs facteurs sont à prendre en considération dans la notion de rentabilité. «Les gars qui ont de gros quotas et qui n’ont pas de grosses dettes, c’est un peu moins pire. Mais, pour les gens qui ont acheté des permis et des entreprises de pêche dans les dernières années à fort prix, la rentabilité est plus difficile à atteindre. Si la tendance se maintient dans l’Estuaire et dans Sept-Îles et que ça s’améliore un peu dans Anticosti, on va passer à travers l’année. Est-ce que ce sera une année très rentable? Définitivement pas. Mais ce ne sera pas aussi catastrophique que ça aurait pu l’être si on avait été payé selon les offres des transformateurs et que le prix du diesel était resté à 2 $ le litre!»
Le 21 avril, la ministre fédérale des Pêches, Joyce Murray, a annoncé les totaux autorisés de captures (TAC) pour les saisons 2022 et 2023. Le TAC de 15 812 tonnes alloué pour cette année signifie une baisse des captures de 12 % par rapport à l’an dernier. Pour 2023, la diminution est encore plus prononcée, avec un TAC consenti de 14 524 tonnes, ce qui équivaudra à des prélèvements moins élevés de 18 %, toujours en comparaison avec l’année précédente.
Volume 35,3 – Gaspé-Nord – p. 11 – Juin-Juillet-Août 2022